Nicolas FRAMONT
13% de la population française est en situation de privation matérielle et sociale. Le double par rapport à 2015. Pendant ce temps, la fortune des 500 familles les plus riches de France est passée de 500 à 1500 milliards d'euros.
Problème numéro un rencontré par le magazine Challenges [qui s'est intéressé à la question sans faire de peine aux riches] : il s'agit en grande partie d'héritiers directs. Et ce que le magazine montre bien, c'est que les 10 plus riches sont tous des héritiers, de plusieurs générations, à l'exception de Xavier Niel (Free, 7ème du classement) : la famille Hermès, Bernard Arnault (LVMH), les Wertheimer (Chanel), Bettencourt (l'Oréal), Dassault (aviation, armes), Saadé (CMA-CGM), Mulliez (Auchan), Pinault (Kering), Besnier (Lactalis) sont des héritiers, ils n'ont pas eux-mêmes bâti le groupe qui les rend riches.
On peut constater que ce qui rend le plus riche, dans notre pays, c'est le luxe, les armes et l'alimentation. Mais cela n'a pas toujours été le cas : Challenges note que les grandes fortunes de 1996, quand le classement a été publié pour la première fois, étaient davantage constituées de patrons de la grande distribution. Seule la famille Mulliez, qui possède Auchan mais aussi de très nombreuses autres enseignes, est restée au sommet de la pyramide des riches, tandis que les propriétaires de Carrefour, Cora ou Casino ont vu leur fortune professionnelle stagner avec le temps. Les vrais champions de notre époque, se réjouit Challenges, ce sont les héritiers des grands groupes de luxe : ils profitent de l'émergence d'une classe bourgeoise à l'échelle planétaire, qui a besoin de se distinguer de la plèbe de tous les pays par une consommation ostentatoire.
On apprend que nos riches sont les plus riches d'Europe ; leur fortune est 2,5 fois plus élevée que celles de leurs homologues britanniques ou allemands. Comment expliquer cela ? Challenges n'a pas peur de donner des explications qui fâchent. Il y a d'abord la mondialisation des échanges et la disparition progressive des barrières douanières qui ont permis aux groupes français, notamment de luxe, de se déverser dans le monde entier. Il y a, de façon beaucoup plus marginale, les "nouvelles technologies" qui ont "créé de nouveaux marchés". Free en est un bon exemple, et Challenges se garde bien de préciser que ses "innovations" se sont faites au prix de conditions de travail dégradées, de répression syndicale, en France comme au Maroc, et de multiples contentieux avec les associations de consommateurs.
Mais Challenges parle toutefois d'un mécanisme d'enrichissement trop peu évoqué : « l'adjuvant magique qui a surtout permis à nombre d'ultra riches de s'enrichir a été administré par les banques centrales. À chaque crise, de la Nouvelle économie en 2022, financière en 2008, sanitaire en 2020, elles ont déversé toujours plus de liquidités pour ranimer la croissance ». Merci Challenges de le dire, puisque des blaireaux de plateau TV n'ont cessé de nous répéter que les milliards déversés par les États dans ces années-là étaient des mesures "de gauche" ou "socialistes". Alors qu'il s'agissait bien de subventions directes à la bourgeoisie qui a bénéficié d'argent bon marché pour investir encore davantage et faire gonfler la valorisation de ses entreprises.
La fortune des 500 familles les plus riches de France repose sur quatre grands leviers. L'héritage, pour commencer. L'exploitation du travail des autres, ensuite. Puis une fiscalité dérogatoire et avantageuse. Et enfin des aides publiques directes ou indirectes, qui font de la France non seulement un paradis fiscal pour riches mais également un État providence pour les entreprises et leurs actionnaires.
Challenges concède un autre déterminant à l'explosion de la fortune des riches français : « la France est un paradis fiscal », nous dit Xavier Niel, cité par le magazine, qui abonde dans son sens : « Une étude de 2023 de l'Institut des politiques publiques a révélé que, en France, si l'ensemble des citoyens paient environ 50% de leurs revenus en prélèvements tout compris, ce chiffre tombe à 27% pour les milliardaires ». Forcément, ça aide.
Challenges omet de parler des immenses subventions directes ou indirectes dont ont bénéficié certains grands groupes au moment de leur création. On rappellera que la fortune des Saadé s'est faite avec le rachat par leur première entreprise, CMA, de l'entreprise publique CGM, qui venait d'être renflouée par le contribuable à hauteur de 5 milliards de francs. Ou encore que Bernard Arnault a pu se lancer dans le luxe, dans les années 1980, grâce au rachat du groupe Boussac (qui possédait, entre autres, Dior), alors en difficulté et renfloué par les deniers publics à hauteur d'un milliard de francs, et qu'il n'a pas honoré la promesse de maintien de l'emploi après un rachat très avantageux pour lui. Challenges omet également de parler des 210 milliards d'argent public versé à l'ensemble de ces groupes chaque année, depuis le début de l'ère Macron, sans effet sur l'emploi, mais avec des effets réels sur les marges et les profits.
Dans son édito, Challenges dénonce « la chasse aux riches »... après avoir démontré par les faits décrits tout au long de ses colonnes que ce sont eux qui nous pillent. Une chose est sûre : quand 500 personnes détiennent l'équivalent de 42% de notre PIB, toute population un tant soit peu sensée ne devrait penser qu'à une chose, tout leur reprendre.
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